mercredi 8 juin 2011

Du besoin d'Elite en Democratie.





La démocratie a-t-elle besoin d'élites ?






Le régime politique, dit « démocratique » est le fruit d'une longue évolution à travers les époques et les nations. De la Grèce de Périclés jusqu'aux salons de Virginie où naquit en 1776 la  Bill of Rights  sans oublier, en France, la nuit du 4 août 1789, des hommes se sont exprimés, révoltés ou indignés pour faire accepter et imposer l'idéal démocratique à travers le monde, en stipulant selon l'article 1er de la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen que: «  les Hommes naissent libres et égaux en droits ». Un message à portée bien évidemment universelle où les Hommes ne sont plus seulement abordés et compris en tant qu'individualités ontologiques mais également comme éléments irréductibles d'un ensemble sociétal où fraternité et tolérance mutuelle doivent être les maître-mots.
La démocratie est par définition le régime politique qui établit comme priorité absolue la recherche de l'intérêt commun, cet intérêt commun devant être fixé par le peuple qui élit ses représentants. La démocratie possède également un grand mérite, elle a fait en sorte que les décisions fondamentales devant s'appliquer au sein d'un état, qu'elles soient de type politique, social ou économique, soient le fruit du dialogue, du débat, de la confrontation des idées et des intelligences. Certains individus, par les réserves ou oppositions qu'ils émettent à l'encontre d'idées formulées par d'autres, contribuent à l'enrichissement du débat car la démocratie affirme que les dites contradictions, si elles sont fondées, ne peuvent pas être négligées ou ignorées car il en va alors du principe de la liberté d'expression. Mais au-delà de ces principes de liberté, d'égalité et de fraternité, la démocratie doit également être caractérisée par des principes tels que l'honnêteté ou la laïcité, qui s'illustrent par exemple par la liberté de culte ou le refus sans ambiguïté de la corruption des élus et des fonctionnaires. Ainsi, à ceux qui ont affirmé ou affirment encore que la démocratie se limite à une dictature de la masse, je leur réponds qu'ils se trompent, car il n'est nullement question d'un pacte républicain où tout serait permis. En effet, l'expression de la volonté du peuple souverain, pour qu'elle conserve toute sa valeur, doit obéir à des devoirs fondamentaux : respect de la loi, de la constitution, participation au votes et respect de l'issue du même vote. Faute de quoi, la démocratie dégénérerait nécessairement en ochlocratie, au sein de laquelle on devrait faire face à :  « une dénaturation de la volonté générale » nous dit Rousseau dans son Contrat Social. La volonté générale ne doit en aucun cas s'effacer devant certaines volontés particulières. J'en viens alors au noyau dur de mon propos et de ma problématique; à savoir, comment protéger la démocratie face aux dangers de l'ochlocratie, qui elle, représente véritablement la possibilité pour la foule de satisfaire ses moindres désirs. Ce populisme est à bannir de nos principes républicains et il est donc nécessaire de lui faire barrage d'une manière efficace. Quel est le moyen le plus efficace me direz-vous ? Je réponds sans hésitation qu'il est nécessaire de posséder un État et des institutions fortes.
Contrairement à ce qui est parfois pensé, murmuré ou même crié dans certaines circonstances, les Institutions et l'État ne sont , en démocratie, aucunement là pour monopoliser un pouvoir mais pour assurer le bien du Pays et la quête de l'intérêt général par la combinaison d'une part de leurs aspirations et de leurs compétences, et d'autre part, du pouvoir que le suffrage universel leur a octroyé. Ces individus, de par les postes essentiels qu'ils occupent pour le bon fonctionnement de la démocratie, se doivent de posséder des qualités, aptitudes voire des talents particuliers qui les rendront plus compétents que d'autres. Je pense par exemple à des convictions solides, à une culture leur permettant d'avoir du recul sur le passé de la Nation, à des facilités de communication, qu'elles soient orales ou écrites. Une fois ces exemples donnés, j'affirme donc que la démocratie a besoin d'élites. Si notre pacte républicain nous considère égaux en droits et en reconnaissance civile, nul ne peut prétendre que les individus sont doués des mêmes compétences. Ainsi, à partir du moment où l'on recherche pour une ou un corpus de compétences données, ceux qui possèdent les meilleures aptitudes, il y a nécessairement sélection et là où il y a sélection, on peut parler d'élite. Platon dans sa Politeia ou République introduit les concepts de « Société politique » et «  Société Civile ». L'élite dont je parle ici pourrait aisément être assimilée à cette société politique. Mais laissez-moi préciser une notion fondamentale. Cette élite ne peut pas uniquement se caractériser par des compétences intellectuelles mais doit aussi posséder de profondes valeurs morales. En effet, L'ochlocratie perdit la république d'Athènes et rendit possible en France le régime de la Terreur, j'insiste donc encore une fois sur la nécessité de la combattre par un pouvoir fort, mais nous savons que le pouvoir ne convient pas à tout un chacun, y compris parmi des individus à haut degré de compétence. Le pouvoir possède en lui une composante intrinsèque dangereuse qui peut pousser à la corruption de ses propres idéaux et transformer facilement un pouvoir fort mais démocratique en un pouvoir tyrannique où la volonté du peuple sera alors ignorée et méprisée. Ainsi, l'Homme de pouvoir, indépendamment de l'institution à laquelle il appartiendra , qu'il soit issu du législatif, du judiciaire ou de l'exécutif devra utiliser son intelligence et sa morale au service de la démocratie, pour la protéger contre ses multiples dégénérescences, sans jamais être tenté par les abus de pouvoir ou les comportements autoritaires non justifiés. Peu d'hommes répondent à tant de critères cumulés et c'est pour cette raison, encore une fois, que j'affirme qu'une démocratie digne de ce nom a besoin d'une élite.
Je sais bien que pour certains, le mot «  élite » est un substantif tabou au sein d'une démocratie. On pourrait même penser que « élitisme » s'oppose à démocratie mais il n'en est rien car au sein d'un tel régime, tous les moyens doivent être utilisés pour pouvoir identifier les talents de demain, indépendamment de leur origine ethnique, politique , religieuse ou sociale. Au sein d'un régime aristocratique, par exemple , les élites sont désignées par leur sang, leur appartenance familiale. Le pacte républicain, lui, se doit d'assurer l'égalité des chances et je pense que c'est une des plus belles réussites de l'idéal démocrate. L'homme de pouvoir de demain, avec les lourdes responsabilités précédemment nommées qui sont les siennes, doit pouvoir venir de tout milieu. La démocratie ayant besoin d'élites, elle se doit de maintenir le niveau et la crédibilité de ces dernières au nom de sa propre survie et de son propre respect. La démocratie, c'est la possibilité d'une méritocratie et non un nivellement par le bas, c'est une importance toute particulière donnée aux aptitudes et non aux origines sociales ou au copinage et c'est également l'égalité et non l'égalitarisme. Et dans cette voie, nous pouvons être fiers de La France car la création de la Légion d'honneur, de l'ordre du Mérite, ou encore le système de concours d'entrée dans la fonction publique ou les corps de l'État a favorisé au sein de nos institutions la logique de méritocratie. Mais attention, il ne sera jamais assez répété que le statut , le poste ou la fonction ne sont nullement des finalités, ce sont des leviers d'action sensibles qui doivent être manipulés dans l'intérêt du pays et de la démocratie. Les citoyens qui ont ces responsabilités, qu'ils l'aient acquises par concours ou par suffrage, se doivent de rendre des comptes et de faire part de leurs résultats car en démocratie, les échanges ou les actions politiques existent dans les deux sens. Il est donc fondamental, en vue de protéger la démocratie contre ses diverses dégénérescences ochlocratique ou anarchique, caractérisées par le chaos et le règne de la force, d'assurer l'existence d'une élite éclairée et morale au sein de la société politique.

Mais me direz-vous , qu'en est-il de la société civile ? Après tout, c'est bien elle qui rassemble la grande majorité des concitoyens. A-t-elle besoin également d'une élite ? Et bien je répondrai «  Oui, bien évidemment !!  ». Comment pourrait-on parler de démocratie en établissant un tel fossé, un tel clivage ? La société politique et la société civile se doivent de dialoguer, communiquer et surtout se comprendre à une époque où le thème de l'incompréhension entre ces dernières devient un sujet récurrent de la presse. Ainsi, le problème n'est plus de s'interroger sur la nécessité d'existence d'une élite au sein de la société civile mais plutôt le rôle de cette élite qui doit être non pas similaire mais complémentaire à l'élite de la société politique. En effet, une grande diversité au sein des élites garantit elle aussi la protection du système démocratique en évitant la domination de la société par une élite unique comme l'analysait brillamment Raymond Aron. La question fondamentale suivante se pose alors :Quel doit être le rôle principal des élites dans la société civile ? Et bien , selon moi, les élites doivent être sources de dialogues et d'échanges. Elles doivent constituer le moteur inépuisable des grands débats et grandes problématiques à échelle nationale, mais aussi de nos jours, à échelle européenne et mondiale. La démocratie doit être pensée sans cesse car bien qu'elle soit définie sans trop d'ambiguïtés au niveau politique, elle regorge de subtilités et engendre par son concept même de nombreuses interrogations dans les domaines philosophique ou sociologique. La démocratie n'est pas une acquisition définitive sur laquelle on pourrait se reposer armé de grands principes, mais un objet d'interrogations et de remises en cause sans cesse renouvelées dans le but de la rendre toujours plus crédible et adaptée aux conjonctions mondiales. Dans son essai L'Elite intellectuelle et la démocratie, Émile Durkheim écrit que : «  L'intellectuel doit aider le citoyen à se reconnaître dans ses idées à l'aide d'ouvrages ou de conférences ». Cette phrase est à mes yeux riche de sens et représentative de l'idée que je me fais du rôle de l'élite au sein de la société civile. Le rythme actuel effréné de notre société empêche une grande part des citoyens à accorder ne serait-ce qu'un minimum de leur temps à la lecture ou à la fréquentation de lieux de culture, d'échange et de savoir. C'est à mes yeux un constat dramatique qui ne peut avoir comme tendance qu'à creuser de profondes divergences entre d'une part, une minorité d'intellectuels recroquevillés sur leur savoir, leur domaine de compétence et leur bulle et d'autre part, la grande majorité des concitoyens développant le ressentiment qu'on cherche uniquement à faire d'eux des moyens de production de la richesse nationale sans leur proposer les débats qu'ils méritent. Conséquence première de ce fléau, un mépris de plus en plus accentué envers les élites allant jusqu'à considérer que le système incarné par ce pouvoir est en réalité très loin de leurs attentes ce qui se traduit actuellement par deux faits majeurs et dramatiques : le désintérêt croissant pour la problématique politique et la montée des populismes, qu'ils soient d'extrême-droite ou d'extrême-gauche, représentants de l'ochlocratie menaçante évoquée précédemment. Ainsi, le peuple, principal acteur de la démocratie, devient le bourreau de cette dernière. Pour éviter cela, il est donc fondamental que les élites, au sein de la société, incarnent pleinement leur rôle. La rupture entre l'intellectuel et l'image qu'il suscite n'est plus acceptable. Souvenons-nous de Jules Ferry et de son prodigieux projet d'une école laïque, publique et obligatoire, où l'instituteur, le Hussard de la république, n'avait pas qu'une fonction d'enseignant, mais incarnait tout un symbole car l'école était un moyen d'ascension sociale. Souvenons-nous aussi de l'idéal de Condorcet qui, dans son Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, en 1795, estimait que l'acquisition du savoir est le moyen principal de hisser l'humanité. Il est donc fondamental que philosophes, historiens ou sociologues multiplient les tribunes, les discours, les ouvrages et les séminaires. Mais attention, je ne nie aucunement la qualité de l'entendement propre de l'ensemble des citoyens. Certains autodidactes sont d'une très grande valeur et je ne fais ici aucune distinction entre les «  diplômés » d'une part et les « autres »d'autre part. Mais la culture au sens large du terme a vocation à être diffusée, partagée et critiquée. Bien évidemment, certains savoirs seront trop techniques pour être abordables d'une manière non épurée au plus grand nombre et c'est là qu'intervient l'importance première de la notion de vulgarisation. Non, la vulgarisation n'est pas une tâche basse. Nous sommes arrivés à un stade de développement des idées si important que la spécialisation est devenue une nécessité absolue dans l'immense majorité des domaines, voire dans sa totalité. Le danger de clivage au sein de la société est donc particulièrement important et il est impératif de faire en sorte que cette même société ne devienne pas une somme indéfinie de domaines d'experts ne communiquant pas entre eux, une sorte de système de castes de l'esprit. Les savoirs doivent circuler !! Les vulgarisateurs, qui avant d'être vulgarisateurs sont d'abord scientifiques, philosophes ou économistes jouent donc un rôle clef car ils se doivent d'être à la base d'une dynamique pluridisciplinaire qui rende l'idéal démocratique vivant et homogène. Des enjeux de l'énergie nucléaire aux modèles alternatifs du système capitaliste en passant par les dynamiques géopolitiques du Proche-orient, les citoyens doivent posséder de l'information et être éclairés sur une multitude de sujets sans être embarrassés par un langage trop technique et donc obscur car au nom du principe de démocratie, ils seront appelés à se prononcer. Et comment pourraient-il se prononcer avec raison et conviction s'ils n'ont pas été assez informés par les élites ? On voit là, encore une fois, une possibilité de dégénérescence du modèle démocratique. Les élites de la société civile ont pour vocation d'éclairer et d'informer alors que celles de la société politique doivent tout faire pour favoriser cette information et cette transparence, cette affirmation impliquant par exemple la liberté de la presse. En effet, on ne doit pas informer les citoyens uniquement aux séances publiques du Collège de France ou de l'Ecole Normale Supérieure, mais également dans les journaux , les livres ou la radio. L'apport fondamental des médias au sein de la démocratie apparaît alors évident, ils ont deux fonctions principales: premièrement, être le vecteur informatif entre les élites et le reste du corps social et deuxièmement, favoriser le dialogue entre les citoyens eux-mêmes. Chaque fois, le but étant de lutter contre toute distanciation. J'en profite ainsi pour condamner certaines dérives des médias, en particulier, les médias télévisuels, qui par l'intermédiaire de la télé-réalité infusent un message fort négatif au sein de la société. Ainsi, la démocratie se présente comme un régime exigeant car elle demande beaucoup au membre de l'élite comme au citoyen lambda. On comprend alors d'autant mieux le caractère fondamental de la liberté d'expression car elle permet certes aux concitoyens d'interpeller les élites politiques sur les différents sujets ou préoccupations de société mais aussi aux élites civiles de communiquer leurs messages et le contenu de leurs réflexions et enseignements au reste de la population dans le but comme je l'ai expliqué précédemment d'entretenir une démocratie dynamique, critique et pensée et par conséquent protégée de ses propres risques de dégénérescence.
Ainsi, la démocratie apparaît comme un projet ambitieux de société, où tout concitoyen, quel que soit ses caractéristiques ethnique et religieuse doit pouvoir accéder à des postes à responsabilité en fonction bien évidemment de ses capacités. Mais d'autre part, au sein d'un tel système, tout un chacun se doit d'être informé avec sérieux sur les grands enjeux de notre époque, dans tous les domaines, pour que le suffrage universel soit véritablement une expression raisonnée de la volonté générale d'un peuple averti. Une telle capacité d'information passe nécessairement par l'existence d'une élite dite « civile » ou pourrais-je reformuler, au sein d'un contexte de délocalisation, d'une élite locale composée par exemple de philosophes, de scientifiques, de journalistes spécialisés ou encore d'économistes. Cependant, la démocratie est menacée en permanence par les appétits de quelques particuliers voulant passer outre la primauté de l'intérêt commun. En France, des mouvements populistes tels que le boulangisme ou le poujadisme n'ont cessé par exemple de critiquer la légitimé des élites précédemment citées en faisant croire à grands coup de démagogie que le peuple éduqué pouvait régresser, et tout cela, uniquement en vue de satisfaire un opportunisme politique. C'est justement pour lutter efficacement contre de telles dérives que la nécessité d'une élite politique forte et morale est impérative en démocratie. Pour reprendre le titre d'un essai de Pierre-André Taguieff, l'élite politique, et plus largement l'élite en démocratie, c'est l'arme la plus efficace contre l'illusion populiste.
Je vous remercie de votre attention!


Le Platonicien.